3 questions à Thierry Raspail
Comment s’articule la 14e édition de la Biennale de Lyon ?
Une biennale réussie est une étrange alchimie entre des oeuvres et des artistes, un ou une commissaire et un public sur des territoires. La Biennale 2017 poursuit sa quête du Moderne avec un nouveau chapitre qu’Emma Lavigne a choisi d’intituler Mondes flottants. Le tome 1 écrit par Ralph Rugoff en 2015 s’intitulait La vie moderne et établissait une cartographie de la question contemporaine et des enjeux actuels de l’art et du monde. Ce tome 2 aborde directement la question «moderne», ô combien contemporaine, compte tenu des enjeux autour des questions d’universalité, de raison, d’esthétique partagée, d’identités ou d’influences réciproques, etc., qui sont autant de problématiques de l’art d’aujourd’hui. Moderne et contemporain ont des origines proches et des généalogies communes : avec Emma Lavigne, l’un et l’autre sont dans un rapport de proximité, à la manière de symétries troublées, pour reprendre le titre de Morton Feldman. En 2017, Mondes flottants joue par capillarité avec Rendez-vous 17, l’exposition dévolue à la création émergente auxquelles se mêlent les plateformes Veduta et Résonance, ainsi que les expositions associées de Lee Ufan au Couvent de La Tourette et à la Fondation Bullukian.
Qu’est-ce qui a motivé votre choix d’inviter Emma Lavigne ?
Le «moderne élargi» qui caractérise notre situation contemporaine démultiplie les champs, les réseaux, les superpositions, les poétiques et le politique. C’est un univers aux bords poreux et aux réalités augmentées. Emma Lavigne est l’une des rares commissaires à avoir su saisir cette réalité aux amplitudes extrêmement variables. Toutes les expositions qu’elle a montées, d’Hendrix, Zappa et Stockhausen jusqu’au Pavillon français de la Biennale de Venise et à son Jardin infini récemment ouvert au Centre Pompidou-Metz, dont elle est la directrice, démontrent cette élasticité où se côtoient poésie et rigueur, et où le plus proche est synonyme de l’infini. La façon dont elle associe par exemple Lucio Fontana à Ernesto Neto est exemplaire de cet implicite qui, de mon point de vue, doit caractériser la culture visuelle, car c’est à partir de ces silences que naît la pensée plastique.
Hormis Mondes Flottants, quelles sont les autres plateformes de la Biennale ?
Créée en 2002 par le macLYON, l’exposition Rendez-vous 17 fait aujourd’hui partie intégrante de la Biennale. C’est une plateforme dédiée à la création émergente qui a la particularité d’inviter dix artistes français et de convier dix biennales à choisir un artiste d’une zone géographique du monde. Cette année, nous invitons, parmi d’autres, les biennales de Djakarta, Marrakech, Aichi, Lubumbashi, Sharjah et Cuba… La plateforme Veduta se développe sur un territoire de plus en plus large avec une participation accrue du public que nous croisons au hasard de nos déambulations piétonnières, de nos aires, zones de contacts, workshops et performances. On entendra les contes du soir de Lee Mingwei, on verra les roses de Damas de Thierry Boutonnier, les ruminants volants de Shimabuku, et les zones délaissées de Lara Almarcegui, entre les mots migrateurs de la protestation de Rivane Neuenschwander réinterprétés parles jeunes d’ici, des centres et des périphéries que l’on entend peu.
À l’échelle de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et avec la collaboration des artistes, centres d’art et artist-run spaces, Résonance irradie de nouveaux territoires, avec 15 focus sur 150 propositions, du Cinéma Biennale au Comoedia à la Fondation Renaud et son programme d’expo-résidence, en passant par le 12/12/12 de la MAPRAA, qui nous conduira de Lyon jusqu’à Dompierre-sur-Besbre via les ateliers d’artistes de Clermont-Ferrand, jusqu’à la Biennale Hors Normes qui, de l’art brut à la génétique, couvre un champ de création tout à fait inédit.