Thierry Raspail, Directeur artistique
Il y a vingt ans, quatre ou cinq manifestations se partageaient
régulièrement l’actualité artistique internationale.
Aujourd'hui, plus de vingt-cinq biennales se répartissent sur l’ensemble
de la planète. On connaît bien le phénomène et s'il est de nature
artistique, il appartient aussi au principe d’exhibition généralisée qui
touche la plupart des activités humaines.
La prolifération des biennales, on le sait, est proportionnelle à la
massification artistique. Celle-ci, malgré les critiques qu’on lui porte
régulièrement, a pourtant des conséquences positives. La première
est l’accroissement de la productivité artistique : de plus en plus d’artistes produisent de plus en plus vite. En conséquence, la loi statistique nous autorise à espérer, à taux constant, une plus grande quantité d’œuvres réussies (qui pourraient à leur tour générer un plus
grand développement des biennales et ainsi de suite…). La seconde,
et non des moindres, est le considérable développement de l’audience, prompte à répondre aux sollicitations de la création immé diate. Un des objets des biennales pourrait être alors de réfléchir à la nature de l’offre à laquelle répond cette audience.
Une des conséquences négatives de la massification artistique, en
revanche, est la systématisation du principe d’exhibition. Celui-ci a
pour vertu de révéler ce qui apparaît, il appartient par conséquent
au registre de l’apparition. Il révèle une actualité, qui est immédiatement recouverte par la suivante. Face à la surproduction artistique,
le système des biennales a majoritairement opté pour l’exhibition.
Par conséquent, chacune des biennales recouvre l’actualité précédente et avec elle recouvre la découverte qui l’a précédée. Le système aplanit les perspectives et construit un présent perpétuel.
Depuis sa création en 1991, la Biennale de Lyon a opté pour l'exposition,
contre l’exhibition. Depuis, elle joue à contre-emploi et le revendique.
Une biennale devrait être une exposition !
Qu’est-ce qu’une exposition ? C’est un présent complexe, un mode
d’association particulier qui inscrit l’œuvre au centre d’un parcours,
qui l’intensifie et l’érotise.
Une biennale exposée est une prise de position face à l’actualité, qui
n’exclut ni l’histoire, ni le zap, ni le sample et qui raconte ; c’est un
exposé, mais visuel. L’exposition met au centre non l’exhibé mais l’œuvre. Cette revendication du centre est subjective. L’œuvre au centre
et l’instauration d’un noyau dur de l’œuvre (exposer ce qui résiste et
non ce qui apparaît) sont une caractéristique forte de la Biennale de
Lyon (particulièrement appuyée dès la deuxième édition en 1993 :
“Et tous ils changent le Monde”).
En 2003, pour déjouer l’aplanissement et l’oubli par accumulation,
la Biennale de Lyon joue l’œuvre et “l’expérience de l’exposition”.