URDLA. Un nom difficile à prononcer qui résonne comme un cri sorti de la bande dessinée « Rahan, fils des âges farouches. » Un cri pour sauver d’une destruction assurée les presses construites au XIXe siècle de la dernière imprimerie lithographique commerciale en fonctionnement à Lyon.
Ainsi naît URDLA au croisement d’un faisceau de fragilités. Celle de l’imprimerie sur laquelle l’association se constitue et dont elle rachète les dettes. Celle du patrimoine technique qu’elle permet de sauver. Celles des techniques ancestrales de l’estampe qui dans les années 80 ont frôlé, en France, la disparition entre autres par l’absence de transmission des savoir-faire et l’absence d’un apprentissage du goût pour l’image imprimée qui avait pourtant soutenu la création depuis les prémices de la Renaissance, par l’absence d’intérêt des collectionneurs. Celle de la possibilité aux plasticiens de rencontrer l’image imprimée. Depuis 1986, URDLA a quitté le petit atelier d’origine, exigu et sombre de Lyon pour s’installer sous les vastes sheds baignés de lumière d’une ancienne usine de fabrication et d’apprêt de tulle. Ici, l’histoire lyonnaise du textile, les révoltes du XIXe siècle et l’histoire des imprimeurs-éditeurs, de leurs tentatives de résistance au pouvoir depuis le XVIe siècle se conjoignent symboliquement.
Aujourd’hui, URDLA est un lieu hybride à la fois atelier de productions d’images imprimées et outil de diffusion. Il s’agit à la fois de conférer toute sa vivacité aux techniques traditionnelles de l’estampe originale. Pour rappel le terme « estampe », de l’italien « stampa » (presse), désigne toute impression réalisée à l’encre sur un support à partir d’une matrice qu’on grave ou sur laquelle on dessine. Trois procédés principaux se distinguent : en relief (la taille d’épargne), en creux (la taille-douce) ou à plat (la lithographie). L’estampe originale désigne par opposition à l’estampe d’interprétation une œuvre pensée par l’artiste dès son origine pour être multiple. Elle n’a rien à voir avec une reproduction plus ou moins luxueuse. À la fois de permettre à des plasticiens, innocents de ces pratiques, de voir au sein d’URDLA émerger leur désir. Avec le souci constant de ne pas se figer dans une application de métiers d’art qui répèterait sans cesse le souvenir mélancolique d’un passé glorieux et perdu. Bien au contraire, il s’agit chaque jour, avec chaque nouvel artiste reçu, d’être un laboratoire de recherches appliquées au développement et à l’adaptation les techniques au monde d’aujourd’hui, aux désirs et aux problématiques des plasticiens de notre temps, de maintenir un dialogue quotidiennement renouvelé entre le passé et les lendemains.
Les espaces d’expositions permettent de poursuivre cette articulation, notamment en plaçant l’image imprimée, l’édition de l’estampe originale au sein des autres média utilisés par les artistes. L’estampe originale d’aujourd’hui n’est plus réservée au porte-feuille de l’amateur d’estampes caricaturé par Honoré Daumier, ni aux seuls cabinets d’arts graphiques, elle converse avec les installations, les films, la peinture… C’est pourquoi la très grande part des artistes invités à URDLA découvrent les techniques au moment de leur première résidence. Cette volontaire mise en état de fragilité accompagnée ouvre d’enthousiasmants champs de possibles pour les plasticiens.
Ainsi en a-t-il été pour les deux artistes choisies à l’occasion de manifesto of fragility. Quarante ans les séparent, pourtant c’est avec la même énergie de la découverte et de l’émerveillement que chacune a apprivoisé la technique qui lui offrait le plus de liberté.
Pour Sylvie Selig (1942, Nice, France) il s’agit de la taille-douce. Les scènes narratives et fantastiques, où animaux, femmes et hommes sont entraînés dans une joyeuse danse érotique et macabre, ont été gravées sur le miroir de plaques de cuivre. La finesse de la pointe sèche ou la morsure des acides permettant à l’image imprimée de sembler sortir de la feuille de papier. La fine tension du trait gravé rejoue la langue de ses dessins et de ses broderies.
La découverte de la lithographie permit à Phoebe Boswell (1982, Nairobi, Kenya) d’augmenter l’amplitude de sa recherche de nouveaux langages suffisamment robustes, ouverts et polyvalents pour accueillir et amplifier des voix et des histoires qui, comme la sienne, sont souvent marginalisées, mises à l’écart du fait de leur altérité. Lors de manifesto of fragility à URDLA les estampes, les photographies et les installations vidéo et sonores d’autres artistes dessineront, avec les estampes imprimées et éditées à URDLA, les points de fragilité de nos différents corps : physique, imaginaire et représenté.
Cyrille Noirjean, directeur de URDLA
Fig.1 : Mimi, URDLA, 1983, ©Raimon Nouilla
Fig. 2 : URDLA, 2019 ©urdla
Fig. 3 et 4 : Phoebe Boswell, URDLA, 2022, ©Cécile Cayon
Fig. 5 : URDLA, 2020, ©Cécile Cayon
Fig. 6 et 7 : Sylvie Selig, URDLA 2022, ©Cécile Cayon