Thierry Raspail, Directeur artistique
J’ai invité cette année Victoria Noorthoorn pour l’exposition internationale.
Depuis 1991, année de la création de la toute première Biennale de Lyon, j’entretiens un dialogue étroit avec chacun des commissaires ou équipes de commissaires que je convie à Lyon. Ce dialogue s’instaure la plupart du temps autour d’un mot que je propose. Ce terme doit être à la fois simple et vaste, car il faut qu’il soit déjà pleinement une réflexion sur l’art, et simultanément un commentaire sur le monde (l’art, le monde. Pas de blanc, pas de conjonction de coordination, pas d’autres signe typographique que la virgule). Ce terme n’est en aucune manière un titre – c’est juste un début. La question du début a une fortune critique gigantesque et une descendance affranchie de toute limite. La philosophie en a fait une métaphysique, mais il n’est pas ici le lieu d’en dresser la généalogie.
Ce début vaut en général pour trois biennales, ce qui me fait dire que nous travaillons par cycle.
L’ampleur des mots, leur valeur d‘usage, leur périmètre de compétence – et cela vaut pour les plus communs que nous employons tous les jours – sont bien souvent considérables. Les mots/débuts de la Biennale sont eux aussi communs et considérables : « histoire » en 1991-1995, « global » en 1997-2001, « temporalité » en 2003-2007, et « transmission » à partir de 2009.
Ce sont des mots-valises, énormes – des quasi-caricatures. Une de leurs vertus, et non des moindres, est celle de pouvoir se faire oublier très vite. Mais avant cela, pour le dernier mot, « transmission », posons qu’il s’inscrit à l’âge du monde que l’on nomme pour aller vite assez généralement globalisation, et qu’il interroge, bien sûr, la part de convergence qu’il nous revient de concevoir et de produire – une biennale c’est cela – avec nos multiples différences et nos incommensurables divergences.
Notre hypothèse est celle-ci : la globalisation est achevée, nos interlocuteurs sont partout, peu importe où, et Facebook est notre voisinage. Fabuleux échanges mégapolitains, inégalitaires et problématiques comme toujours, transfert de fonds, de pensées, de mythes et d’hommes dont le principe de migration est désormais la condition naturelle, comme l’est la migration gigantesque des images dans le monde. Migration est une réponse positive, susceptible de saper le communautarisme et l’identité enracinée dont on perçoit chaque jour les méfaits. C’est sur cette réalité « migratoire » que se mélangent et s’érigent les histoires nouvelles de l’art, nouveau lui aussi, conçu sur et avec des histoires particulières, désormais obstinément discontinues. Le nombre infini de biennales dans le monde en témoigne.
Outre « l’art, le monde », notre argument (beau terme qu’on emprunte au théâtre et à l’art lyrique) est celui-ci : qu’échange-t-on ? Que garde-t-on ? De quelle communauté imaginée sommes-nous les acteurs ? Quel monstre serait le paysage de ce présent sans avenir distinct, qui sans cesse s’agite, et auquel nous contribuons ?
Le paysage, c’est l’exposition. Cette année, elle s’intitule « Une Terrible Beauté est Née », titre choisi par Victoria Noorthoorn sur une suggestion de Carlos Gamerro (1). C’est un vers tiré d’un poème de Yeats (Pâques, 1916), qui décrit l’épisode tragique du massacre par les troupes britanniques de nationalistes irlandais revendiquant leur indépendance au printemps 1916. Cette « Beauté Terrible », c’est en effet une réalité nouvelle du siècle précédent qui perdure, qui a annoncé, irrigué et qui déborde désormais notre présent élargi d’aujourd’hui.
Perplexité devant « le jaillissement d’imprévisible nouveauté » (Bergson). En art, en 1916, quand Yeats écrit, la « nouveauté » est associée à la « modernité » qui frémit dans les années zéro et dix du siècle, et qu’on annonce prématurément défunte. Elle est aujourd’hui la mémoire commune de notre culture occidentale, plus ou moins partagée, plus ou moins dénoncée mais qui ne cesse de perdurer, elle aussi, sous différentes formes globalisée, sans « isme » ni manifeste depuis les années 1975. Elle survit aujourd’hui sous le régime de la poésie. Jean Christophe Ammann (2) l’a écrit ainsi : « Depuis la fin des avant-gardes historiques, il n’y a plus de nouveauté. Ce qui reste, c’est la poésie, cette constante anthropologique qui depuis toujours unit les hommes ». Partout, et à tous ou à peu près, nous avons exporté nos arts, qui ont été plus ou moins bien reçus, acceptés ou refusés – comme nos langues. L’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Europe centrale – parmi d’autres – ont été longtemps sous le boisseau de récits et de pensées importées. Certains, les poètes surtout, en ont fait une arme de guerre, qui, décrivant au départ leur monde, a peu à peu décrit le nôtre. Et c’est le même, ou presque, avec ses concordances et ses discordances. Qu’est-ce qu’on transmet ? Quelle est cette Terrible Beauté ?
L’exposition se tient sur quatre sites. L’un d’entre eux est l’usine TASE à Vaulx-en-Velin (69120), les trois autres sont à Lyon : la Fondation Bullukian, le MACLYON et la Sucrière. 60 artistes se répartissent 13.000 m² de surface d’exposition.
Si la Biennale est avant tout une exposition internationale, elle n’est pas toute la Biennale. Deux plateformes l’accompagnent, Résonance et Veduta.
VEDUTA, forum permanent et petite fenêtre ouverte sur la diversité des cultures visuelles, s’infiltre en 2011 sur les territoires de six communes du Grand Lyon et le Grand Parc Miribel-Jonage, avec des résidences d’artistes, des workshops, et des collaborations diverses : écoles supérieures et chantiers d’insertion, des expositions, des projets inédits : « le musée du XXIe siècle » d’après et avec Yona Friedman, le « White cube » (ou musée éphémère) conçu avec l’Ecole d’architecture de Lyon, et dont les habitants de Décines (69150) seront tour à tour les directeurs, les conservateurs, régisseurs, médiateurs, gardiens et visiteurs. Veduta est sur le slash qui tient solidaire le couple indestructible création / réception.
RESONANCE est une programmation à l’échelle de la région Rhône-Alpes. Avec la collaboration de musées, centres d’art, collectifs d’artiste, galeries, associations, plus de 150 événements se déroulent tout au long de la Biennale du 15 septembre au 31 décembre 2011. A noter la Nuit Résonance le 24 novembre 2011.
Quelques Focus :
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« Rendez-vous 2011 » à l’Institut d’art contemporain (du 12 septembre au 13 novembre 2011) (commissariat commun avec le MACLYON et l’ENSBA de Lyon). « Rendez-vous 2011 » présente vingt jeunes 20 artistes : 10 artistes travaillant en France issus d’écoles d’art, notamment Rhone Alpes ; et 10 artistes choisis par 10 directeurs /commissaires de Biennales internationales (Dakar: N’Goné Fall ; Gwangju : Massimiliano Gioni ; Istanbul: Adriano Pedrosa & Jens Hofmann ; Kochi Muziris : Bose Krishnamachari ; Liverpool : Lewis Biggs : Moscou : Daria Pyrkina ; New Orleans : Dan Cameron ; Sao Paulo : Moacir dos Anjos ; Sydney : David Elliott ; Yokohama : Akiko Miki).
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« Antoine de Galbert, collectionneur » au Musée des Beaux-Arts de Lyon (du 16 septembre 2011 au 2 janvier 2012) : Une sélection d’une centaine d’œuvres anciennes, modernes et contemporaines de la collection d’Antoine de Galbert, ancien galeriste à Grenoble et président fondateur de la « Maison Rouge, fondation Antoine de Galbert » à Paris, est présentée au sein du département du 20e siècle des collections du Musée des Beaux-Arts de Lyon.
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Alan Charlton au Couvent de la Tourette (du 10 septembre au 6 novembre 2010) : L’artiste anglais s’empare de l’espace intérieur du couvent conçu par le Corbusier et Xenakis, et crée des peintures spécifiques qui irradient cet univers maîtré moitié par l’architecte et le musicien, de la chapelle aux espaces conventionnels.
(1) Carlos Gamerro, romancier, traducteur et scénariste, contribue avec Alejandro Tantanian et Ruben Mira au catalogue 2011.
(2) Jean Christophe Ammann, En y regardant mieux, les presses du réel, 2010, p.8