Dans la grandiose halle Tony Garnier, la biennale de Lyon promet d’être l’un des événements les plus importants de cet été.
Son thème en est “L’Autre”. Mais loin d’illustrer une éternelle changeante altérité, l’exposition se propose et se met au service des artistes qui sont toujours “les autres” pour les visiteurs, lesquels sont eux-mêmes les autres “autres”. Donc pas d’illustration, pas de commentaire mais des œuvres fortes. Aux conséquences néfastes d’une proclamation de la fin des utopies, nous voulons opposer les utopies positives des artistes, leurs révolutions du regard, leur sens de l’humour, de la poésie et de l’optimisme dans des temps plutôt gris. Grâce à leurs œuvres nous voulons enchanter, étonner, parfois choquer. Nous cherchons l’impossible c’est lui qui décide du futur.
L’exposition commence avec “L’Autre” dans la région : “Le Palais Idéal” du Facteur Cheval, des documents sur “la Vierge au sable”, et “la maison natale” d’Etienne-Martin, un des grands sculpteurs français, et un ensemble d’œuvres d’Ughetto, artiste lyonnais.
Quatre représentants de la révolution des arts plastiques de la fin des années 60 ouvrent le parcours : Joseph Beuys avec sa sculpture sociale, Richard Serra avec sa maîtrise du poids et de l’équilibre instable, Bruce Nauman qui nous met la sculpture directement devant les yeux et Hanne Darboven avec un travail sur la bombe atomique présenté pour la première fois.
À partir de là, il y a des espaces qui contiennent des surprises : Francis Bacon et sa figure mâle tordue s’oppose aux beaux visages féminins de Franz Gertsch et aux “Jumelles” de Jean-Olivier Hucleux.
Dans la chambre de Pipilotti Rist, on peut zapper les programmes vidéo de cette jeune artiste aux charmes et aux énergies multiples. Stan Douglas nous montre des paysages qui se font et se défont, et Douglas Gordon nous propose une épopée sur les mains. Gary Hill nous confronte à la résignation et à la révolte contenue de travailleurs étrangers et de chômeurs.
Katharina Fritsch nous dévoile un phénomène rare de la nature : le roi des rats, Jason Rhoades nous confronte avec la vie et les soubresauts, l’aventure de son sexe en une installation gigantesque. Et les artistes chinois ? Ils nous racontent la grande épopée de la révolution culturelle et de la nouvelle philosophie terre à terre pour laquelle, d’après Deng, il est glorieux d’être riche (Pu Jie) ; ils nous racontent le fait quotidien de se gratter (Zhang Peili) et nous disent combien le petit Livre Rouge est devenu vide pour une jeune génération (Xu Yihui).
Guérir autrement est le thème d’une grande installation faite de 500 sculptures guérisseuses d’Emery Blagdon ainsi que des dessins de la polarisation des fleurs d’Emma Kunz.
L’actionnisme viennois nous présente son art qui rompt les tabous (Brus, Muehl, Nitsch, Schwarzkogler), Rainer énergétise les visages de Messerschmidt et autour de la machine de Kafka (La colonie pénitentiaire), Friederike Pezold nous présente son alphabet du corps, sa nouvelle Maya.
Peter Hutchinson fait disparaître les lettres de l’alphabet et Raymond Hains renoue les fils d’événements et de lieux d’une manière insoupçonnée.
Qui se souvient encore de la poste pneumatique ? Serge Spitzer nous bricole en un chaos de tubes un circuit clos du pousser et de l’aspirer. La pureté du pollen, cet élément au jaune le plus intense, ce lieu de méditation c’est Wolfgang Laib qui nous le crée.
Mais déjà la fascination du narcissisme nous capte : le monde des béats d’Elisàr von Kupffer, les Portraits de Marie d’Eugène von Bruenchenhein, les émotions contenues de Marie-Ange Guilleminot.
Et la peinture “autre” de Jessica Stockholder et Polly Apfelbaum.
Le dessin qui suit une fourmi par Yukinori Yanagi. Et le cinéma lui aussi est autre. Les quarante bancs sont des œuvres de Franz West et le programme est très divers : un jeune soldat français raconte sa vie en Bosnie dans “Casque Bleu” de Chris Marker, Charles Ray nous montre sous le titre “Fashions” l’anti-mode, Valie Export dans “Remote... Remote...” son douloureux “displacement”, Matthew Barney expose son monde qui vacille entre Busby Berkeley et Leni Riefenstahl, et les studios Greenberg déploient toutes les virtualités dans “Seven”, les sept péchés capitaux.
Et la vie des objets : Gabriel Orozco nous présente sa D.S. mono et Chris Burden son engin compresseur de la marine américaine à qui il impose de voler. Jamais on aura vu un aussi grand poids “non-avion” prendre l’air. Et il y a la souffrance psychique que génère une œuvre. Louise Bourgeois nous montre “La chambre rouge (mes parents)”, Hans Danuser des “Embryons gelés”. Que peut-on dire de la splendeur glorieuse de poissons ornés comme des putains. Et du jardin exotique en céramique de Elmar Trenkwalder ou de l’architecture insensée de Nahum Tevet. Et qui a déjà vu un artiste Christian Jankowski s’exposer en pigeon ?
Pour voir tout cela, il faut venir à Lyon du 9 juillet au 24 septembre.
A la grande halle Tony Garnier où sonneront le glas et le plaisir.
Harald Szeemann, Commissaire général